Hyacinthe Ouattara ou la poétique des fils
Les matières ont une odeur, une musique et une couleur
Hyacinthe Ouattara n’est pas un artiste narratif, point d’histoire pour nous guider à travers ses oeuvres, pas de panneaux, pas de guide. Vivre l’art, c’est entrer dedans !
Bienvenue face à l’infinie matérialité, face aux pulsations rythmiques, à la vibration des couleurs et des matières qui se rencontrent. Ce que les oeuvres de Hyacinthe Ouattara racontent, c’est le poésie du ventre, celle du blues Bambara, quelque chose d’organique comme un sursaut de vie, récit sans mot, histoire sans fin d’une humanité que l’artiste noue, dénoue, renoue.
Textes par Cindy Olohou
Un fil n’est rien seul. Relié à d’autres, dans la multitude des fils, il prend sa place, une place mouvante soumise à la brise, comme une partition de musique où chaque fil est une note dans l’espace. Les oeuvres de Hyacinthe Ouattara composent une mélodie sensorielle et spatiale à l’image son installation Organic Mood (2020) Cette oeuvre immersive est l’exploration dans un espace d’une forme textile . À l’instar de cette installation, les oeuvres textiles de Hyacinthe Ouattara se déploient, telles les ramifications des branches de l’arbre à palabre ou les racines des palétuviers. Les oeuvres prolifèrent, rhizomiques. Cet enchevêtrement complexe de fils et d’étoffes crée un ensemble indémaillable à l’image de nos relations, des liens qui nous unissent. Structures hétérogènes évoluant constamment, les oeuvres de Hyacinthe Ouattara rejettent toute hiérarchie : tissus chinés en brocante, fils dorés et étoffes personnelles présentées en offrande sont au même niveau. Ils sont traités avec le même soin.
Hyacinthe Ouattara choisit de travailler avec des tissus qui ont déjà vécus, qui portent une histoire, une mémoire. C’est ce qu’il appelle « l’âme du vêtement » : une émotion vécue en le portant qui s’imprime jusque dans les fibres du textile et que l’artiste fait revivre à travers une mélodie de formes et de couleurs. La vie que nous insufflons dans les vêtements que l’on
porte, les souvenirs qu’ils abritent, représentent une charge, une énergie. Celle-ci rayonne, se propage et se transforme. Il ne s’agit pas de recyclage mais de métamorphose. Naviguant de la décomposition cellulaire du tissu, jusqu’à sa première unité, le fil, voire la fibre, à sa recomposition en assemblant plusieurs éléments, Hyacinthe Ouattara considère le textile comme une matière vivante et composite . Les tissus sont toujours choisis méticuleusement.
Le soin qu’il leur porte, devient la métaphore du soin à porter à nos relations.
Les installation et les sculptures textiles de Hyacinthe Ouattara tissent la trame d’une « archéologie de l’intime ». Il part des traces, des souvenirs individuels, en quête du fil rouge unissants les histoires : la sienne, les nôtres, celle du Burkina Faso, celle de l’Afrique et de ses traditions, celle du monde. La transmission des mémoires sensibles, tel est l’enjeu de ce voyage initiatique et poétique. Ainsi les installations Mémoire ancestrale, Esprit Dogon (2022) et Habiter le monde qui nous habite (2022) mettent toutes en jeu l’idée d’une filiation tour-à-tour temporelle, spirituelle et familiale. Les tissus entrent en résonance avec des éléments matérialisant les vestiges de moments de vie : photos de famille et vieux patrons de couture dans habiter le monde qui nous habite, tapis de prières dans Esprit Dogon et textes poétiques dans Mémoire ancestrale. C’est la mise en place d’une spiritualité de la Relation.
Coudre et nouer, c’est aussi tenter de réparer, de soigner, de mettre du lien là où avant se tenait une déchirure. Les coutures et les fils sont d’ailleurs toujours apparents dans les oeuvres de Hyacinthe Ouattara. Ils donnent à voir l’invisible, l’insaisissable : cet élan vitale de tenir ensemble, d’interconnexion voir d’interdépendance qui nous lie dans le Tout-monde.
Le travail de Hyacinthe Ouattara se caractérise par sa spontanéité, une spontanéité qui n’est pas celle de l’immédiateté, mais bien plutôt celle de l’incertitude, de l’imprévu, celle d’un artiste qui se remet en danger à chaque installation, toujours sur le fil.
Artiste de l’ambivalence, funambule, Hyacinthe Ouattara questionne la subtilité du lien entre équilibre et déséquilibre. Comme il est parfois nécessaire de se perdre pour retrouver son chemin, c’est en déstructurant le textile pour le façonner et lui rendre une forme organique que l’artiste nous invite à plonger au coeur de ce qui fait notre humanité.
Cindy Olohou