Que penses-tu de l’art contemporain et quelles sont les tendances qui, selon toi, seront importantes à l’avenir (qui prendront de la valeur) ?
L’art est d’abord un besoin de vivre, une nécessité quelque part. Dans mon cas, je me réfère à ma propre histoire, à ma propre culture, à ma propre géographie – avant d’entrer dans un contexte plus universel. Tout part d’une géographie personnelle avant d’embrasser le monde. L’art est comme un voyage, un bus ou un train qui traverse de nombreux paysages différents jusqu’à ce qu’il atteigne sa destination. C’est un voyage au cours duquel il y a eu plusieurs interactions – mais pas nécessairement le même sentiment et avec différents cadres, différents mondes.
Je pense que lorsque nous parlons de “contemporanéité”, c’est quelque chose qui doit ressembler à l’individu, une part de sincérité. C’est comme un testament. C’est donc cela l’art pour moi. Un véritable testament légué à l’humanité. Maintenant, les courants, les tendances, c’est difficile à définir et en tant qu’artiste, c’est difficile de se définir sur le marché de l’art. Je ne suis pas un connaisseur du marché de l’art, je suis dans l’atelier, en train de créer. Je ne suis pas un conservateur, un spécialiste, je ne peux pas prédire l’avenir, je sais simplement que l’art peut sauver le monde. C’est comme une pharmacie permanente dans laquelle je veux être. L’art rassemble les gens.
Tu es né au Burkina Faso et tu vis et travailles en France (depuis 9 ans). En évitant de généraliser entre plusieurs arts et cultures, qu’est-ce que cela signifie d’être un artiste exilé ?
Je me considère comme “déplacé” parce que l’art est un mouvement perpétuel. Je ne suis pas dans un contexte d’exil mais dans une forme de déplacement. Comme l’art peut bouger, j’essaie d’être en lien avec le Burkina à travers l’art, puis avec la France et l’Europe, l’Asie et les Amériques. Comme une racine qui se déplace et creuse le sol puis disparaît. Comme ces sortes d’arbres qui, dès qu’ils épousent un lieu, se multiplient puis se reconnectent.
L’image de cet arbre qui, par ses racines, cherche à s’interconnecter avec d’autres arbres. Et la racine ne fait que s’enfoncer de plus en plus pour finalement disparaître. Nous sommes tous “déplacés” quelque part, nous sommes en perpétuel mouvement. Et l’art est un sujet de conversation, un prétexte qui permet de se retrouver autour d’une table, autour d’une même histoire.
Notre projet Self-Continuity explore les interconnexions entre le passé, le présent et le futur de chacun pour rassembler une conscience collective. Une manifestation collective profondément ancrée dans la conscience individuelle et les valeurs universelles pour assurer un avenir
harmonieux. Que penses-tu de la culture en tant que moyen pour interconnecter le passé, le présent et l’avenir de chacun?
Pour moi, la culture est un peu comme un grand fleuve. Un fleuve neutre qui fait son chemin sans écouter ce qui se passe – parce que finalement la culture n’a pas de besoin, elle fait son chemin. C’est la base et c’est ce dont nous avons besoin pour vibrer. C’est un élément fédérateur qui crée un sujet de discussion, qui nous fait parler d’un destin commun, d’un destin humain. Et donc, l’art et la culture seront nécessairement les futurs humanistes sur lesquels le monde devra s’appuyer, comme un grand livre d’histoire.
L’avenir du monde est parfois prédit par l’art, inconsciemment. Nous avons accordé beaucoup d’attention à certains artistes lorsqu’ils ont prédit des choses qui se sont réalisées (comme une prophétie de l’art) et donc lorsque l’art a commencé à être pris très au sérieux. Il y a un vrai message, une vraie pensée, précisément parce que l’art a été un lieu de réception et de transmission.
Étant un artiste autodidacte, comment cela a-t’il affecté tes pratiques artistiques? Comme tu l’as mentionné dans l’une de tes interviews, les matériaux, les textiles et les couleurs sont très importants dans tes œuvres; comment choisis-tu les sujets et les matériaux pour réaliser tes idées ?
Il y a une sorte de détachement de l’histoire de l’art et le choix des matériaux est déjà une forme de détachement. Nous voulons faire de l’art, mais en empruntant des voies différentes.
Cet apprentissage que j’ai fait seul a été en quelque sorte une grande opportunité pour moi parce qu’aujourd’hui je suis totalement détaché, et dans mes choix et dans mon intention en tant qu’artiste, je navigue toujours dans cet état d’esprit. L’art n’a pas de frontières ni de barrières. Et donc, comme l’art n’a pas de barrières, l’artiste et la créativité n’en ont pas non plus. Maintenant, je joue avec cela, je l’utilise assez souvent dans ma vie quotidienne pour me tourner vers le choix de mes matériaux. Parce que le choix des matériaux est toujours comme une forme de pensée. C’est ce qui m’a toujours guidé, et me guide encore, pour aller chercher un matériau et arriver à un but. Le textile est un élément particulier de mon histoire. Quand j’étais enfant, il y avait cette relation avec la couture (avec ma mère), je ne l’ai pas pratiquée à l’époque mais elle s’est révélée à moi plus tard. Finalement, mon histoire est un peu celle d’un parcours autodidacte : comment j’ai pu capturer ce que j’ai vécu pour en faire de l’art.
Le choix des matériaux est très lié à l’intuition. Je travaille toujours avec de l’indigo, qui vient souvent du Burkina, et je vais souvent dans les vide-greniers et les marchés aux puces – pour trouver cet effet “marché de musée”. Ce qui est important pour moi, ce sont les objets qui ont une trace. J’aime ces objets habités. Ce sont des choses devant lesquelles je m’arrête immédiatement, qui m’attirent et retiennent mon attention.
Dans ton travail, tu explores les relations humaines à la base de la société et tu interroges l’idée d’existence et de néant. D’où te viennent ces références et que penses-tu de ces thèmes ?
D’une manière générale, mon travail est toujours ancré dans une cartographie humaine. La cartographie humaine, pour moi, se traduit par des êtres humains qui entrent dans la pensée d’autres êtres humains, tout en étant invisibles. D’où l’aspect animiste. J’ai toujours considéré que nous n’étions pas seuls sur terre et qu’on est accompagné par plein d’autres choses, d’autres éléments invisibles. C’est l’invisible qui côtoie le visible. Comme je ne suis pas seul, je dois aussi rendre cette place au monde invisible parce que le monde invisible n’est pas que néant.
Dans mon travail, je saisi ces émotions de l’instant en permanence et la source de ce travail vient de cette vibration constante de ce phénomène. Chacun disparaissant et étant insaisissable. Cette notion de tension, d’attention et de préciosité que l’on a besoin de saisir à un moment précis et qui peut être volatile. Lentement on se saisit de ce qui est volatile afin d’absorber cela et en faire quelque chose. Puis ça devient une trace du passé.
Quelque part on entend le rythme de la terre, le rythme de l’eau, le rythme des personnes comme un rythme cardiaque. Et puisque la terre a un rythme, on l’entend et on la ressent.
Entretien par Clotilde Delaunay, le 7 fevrier 2022, dans le cadre de l’exposition collective SELF-CONTINUITY, en collaboration avec la galerie AFIKARIS.